J’ai fait l’erreur une seule fois de parler quelques minutes avec des témoins de Jéhovah venus me tirer du sommeil le samedi matin. Une fois de trop. À ne jamais faire. J’aurais dû agir comme un ancien collègue de travail qui s’était déshabillé et avait ouvert la porte dans le plus simple appareil. Plus jamais eu de nouvelles, lui. Moi, je reçois toute sorte de documentation, incluant la revue Réveillez-vous!. Je ne la lis jamais, mais je la feuillette parfois. Je crois en Dieu, mais je ne suis pas pratiquant. Je n’ai pas besoin d’intermédiaires entre moi et mon Dieu. Et, d’une certaine façon, je suis toujours émerveillé de constater de quelle façon certains essaient de se servir des vulnérabilités d’autrui pour leur imposer quelque chose d’aussi personnel et intime que la foi.
Ce mois-ci, la dépression. Sujet qui me touche. Comme à peu près tout le monde de ma génération qui a dû renoncer à une parcelle d’humanité pour s’imbriquer dans ce monde un peu fou sans perdre complètement la boule. Comment est-ce que les témoins de Jéhovah peuvent-ils parler de dépression? me suis-je demandé. Comme d’habitude: avec un gros deux par quatre derrière la tête et les couilles branchées sur une batterie d’auto. En utilisant votre faiblesse pour essayer de vous gagner. Mais non, ce n’est pas de la torture, ce n’est pas utiliser ce qui va mal dans votre vie pour vous utiliser; c’est pour votre bien. Avez-vous remarqué que tous ceux qui veulent vous vendre quelque chose – un Slapchop, une voiture, le paradis – le font toujours pour votre bien?
Page 7. Comment « parler de façon réconfortante aux déprimés ».
Une suggestion:
« J’admire les qualités chrétiennes que tu manifestes malgré tes problèmes de santé. Tu souhaiterais peut-être faire plus encore, mais Jéhovah t’aime tel que tu es, et nous aussi. »
Une autre:
« J’ai pensé à toi quand j’ai relu ce verset que j’aime énormément. » (Puis lisez ou citez le verset en question).
Et le conseil final, la phrase qui vend comme on dirait en marketing: « N’oubliez pas: bannissez le ton moralisateur. »
Je ne sais pas pour vous, mais si j’étais en dépression, je courrais probablement jusqu’au pont le plus près pour me lancer en bas après avoir entendu quelqu’un me parler ainsi. Car ce n’est pas du réconfort qu’on offre ainsi, mais c’est plutôt une véritable entreprise de manipulation visant la faiblesse de quelqu’un et son incapacité à bien utiliser ses défenses pour chercher à profiter de lui. Ce sont ces gens, ces mêmes gens qui ont entouré mon oncle à la mort de ma tante (sa soeur) et qui ont tenté de le ramener vers eux au sous-sol du salon funéraire. Ce sont ces personnes qui manipulent au nom de l’amour, et ce sont leurs semblables qui ont tué au nom du Seigneur au cours des derniers deux mille ans.
Tranche de vie
Faut dire, j’ai mes raisons de détester ce genre de manipulation. On m’a fait le coup, moi aussi. Pas au nom de l’amour de Jéhovah, mais plutôt des liens familiaux. Oui-oui.
Mon grand-père est mort il y aura bientôt cinq ans. Il a été comme un père pour moi. Dans les dernières années de sa vie, je gérais un de ses blocs à appartements à Montréal. Et il me disait toujours: « un jour, ce sera à toi ». Et il vieillissait. Et sa santé vacillait. Et moi, j’étudiais, je m’endettais. Je vivais au-dessus de mes moyens. Je me disais que ça importait peu car de toute façon j’aurais un bloc de 300 000$ à moi (une maigre partie de l’héritage total donné à ses enfants) et je pourrais tout rembourser.
Et il est mort, comme ça, en janvier 2005, après une opération au coeur. Erreur médicale. Cinquante minutes que ça a pris à une équipe de secours pour venir l’examiner quand il a commencé à être en détresse respiratoire. Cinquante minutes. Au centre de cardiologie de Montréal. Enfin, bref, j’étais sous le choc. Et son testament qui n’était pas à jour. Et une personne dans ma famille, que je ne voyais plus depuis plusieurs années à cause de ses tendances manipulatrices, de me dire: « Ne t’inquiète pas: on va s’occuper de cela ensemble, et oui, le bloc sera à toi. » Car oui, au-delà de la mort de mon grand-père, j’étais nerveux. Je devais plusieurs dizaines de milliers de dollars.
Que s’est-il passé ensuite? Le dernier testament a été invalidé, et la personne m’ayant fait toutes ces belles promesses pour que je revienne vers elle m’a donné 10 000$ et trois mois pour quitter le bloc. Elle a renié sa promesse et m’a privé de mon héritage. Et aujourd’hui encore, je dois payer l’équivalent d’une voiture de luxe ou d’un deuxième loyer à tous les premiers du mois pour payer ce tribut de la confiance que j’ai eue. Alors oui, la manipulation et l’utilisation de la faiblesse de quelqu’un, je connais.
La vraie force
Si je dois encore aujourd’hui vivre comme un pauvre et me priver d’à peu près tout ce qu’un individu de mon âge travaillant comme je travaille peut faire, si je dois remettre mes rêves à plus tard, je ne suis pas trop amer pour autant. Pourquoi? Parce que j’ai trouvé l’origine de la vraie force. La seule force.
La mienne.
Ce ne sont ni des témoins de Jéhovah ni quelque personne manipulatrice que ce soit qui peuvent aider quelqu’un à se sortir d’une période difficile, que ce soit un deuil ou la dépression. La force est en soi. On doit atteindre ce niveau de conscience où on réalise que les épreuves que nous subissons ne sont peut-être pas un fardeau, mais au contraire un formidable moyen d’enrichir sa personnalité. Ce sont les graines plantées dans un sol aride et que nous avons la possibilité d’arroser nous-même pour qu’un jour, éventuellement, l’arbre porte ses fruits.
Pour ma part, ce jour approche. Les fleurs commencent à sortir; elles sont bleues et jaunes, avec un peu de orange. Elles représentent ce blogue, qui me permet non seulement de m’exprimer mais qui devrait, sous peu, me permettre d’assurer une partie de ma subsistance. Je ne veux pas en dire davantage tant que le contrat ne sera pas signé, mais du sol aride l’arbre a grandi et les fleurs sont là, simplement. Malgré l’adversité, mais aussi grâce à elle.
Ainsi, si vous croisez un témoin de Jéhovah ou une personne manipulatrice, dites-leur merci. Merci d’être de tels crétins de la magouille et merci de nous forcer à devenir plus fort en nous rappelant que le monde est rempli jusqu’au bord de personnes cachant leurs sombres manigances derrière de bonnes intentions. Merci de nous apprendre cette vérité: en ce monde, nous sommes toujours seuls avec notre gueule. Et ce ne sont pas toutes les épaules qui acceptent les épanchements sans avoir leurs propres intérêts.
« Réveillez-vous! » me lance la revue. Je suis très réveillé et mon regard s’avère plus perçant que jamais quand je constate qu’on peut utiliser la misère du pauvre monde pour les manipuler.