La décision de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) d’imposer six cours de gestion uniquement en anglais dans le but de « doubler » sa clientèle ne viole pas seulement la convention collective des professeurs, stipulant que la langue de travail doit être le français, mais elle détruit la mission d’intégration de l’université. Sous prétexte d’aller chercher quelques étudiants supplémentaires, on s’attaque aux fondements de ce que doit être l’université en tant que protectrice de la culture et de l’éducation d’un peuple.
Or, quel est l’argument-massue des anglophiles de ce monde? « L’anglais constitue la langue des affaires ». Sous prétexte que l’anglais est une des langues dominantes sur la planète, il faudrait s’angliciser et l’utiliser comme d’autres ont utilisé le latin il y a deux mille ans, dixit Simon Durivage à Radio-Canada ce matin.
Pourtant, comme l’explique Josée Legault sur son blogue, l’anglais n’est pas la seule langue utilisée: « […] Même dans le domaine des « affaires », le français, l’allemand, voire le mandarin, ne serait-ce que par sa seule force du nombre et la montée fulgurante de l’économie chinoise, y sont aussi utiles et… utilisés. » Ne devrait-on pas également enseigner ces langues? Tiens, pourquoi pas un cours en portugais, un en russe, un en hindi et un en mandarin? Ne sont-ce pas là les prochaines puissances économiques mondiales, le BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine)?
On le constate, il n’y a pas une seule langue mondiale, mais une pluralité de langues pour une multitude de cultures différentes. Dans trente ans, le mandarin pourrait bien être la seule langue mondiale dominante; doit-on l’imposer dans les cours de gestion pour autant? À ce que je sache, des cours de langue existent déjà; ne devrait-on pas laisser les étudiants libres de la langue qu’ils désirent apprendre? Et considérant que la plupart des diplômés travailleront au Québec, ne devrait-on pas plutôt leur apprendre à travailler en français?
Certains diront: « ce ne sont que quelques cours! ». Mais à partir du moment où on considère le français comme un obstacle et un désavantage compétitif, pourquoi se limiterait-on à six cours de gestion? La littérature en psychologie se fait largement en anglais; offrons des cours en anglais! La recherche mathématique aussi; anglicisons! Et les arts, et la philosophie, et l’ingénierie, et la politique et l’histoire et la pédagogie et l’architecture et la chimie et la médecine et le droit. Où s’arrête-t-on? Si on considère le français comme un obstacle plutôt qu’une richesse et un héritage à défendre, c’est tout le réseau d’éducation qu’on doit angliciser. Bien pire, c’est le Québec qu’on doit épurer de son français, ce formidable frein à notre réussite. Tuons ce que nous sommes pour réussir!
Et puis, oublie-t-on qu’une des missions fondatrices de l’UQAM est de permettre l’élévation sociale et intellectuelle des francophones? Comme le souligne Michel Laporte, premier vice-président du Syndicat des professeurs de l’UQAM, si on offre des cours en anglais dans un but purement clientéliste, « on manque à notre mission ». On espère chiper quelques étudiants aux universités anglophones de Montréal, mais la véritable conséquence représente une baisse de l’attrait du français en tant que langue commune et une augmentation du pouvoir intellectuel de l’anglais à Montréal.
La ministre Courchesne, elle, répond que ces cours en anglais feraient preuve d’une « ouverture sur le monde » et qu’il n’y aurait pas de problème avec cette anglicisation puisque McGill offre quelques cours en français. Cette façon de mettre sur un même pied une langue aussi majoritaire et impératrice que l’anglais avec une culture francophone ne représentant que 2% de l’Amérique du Nord peut-il conduire à un autre résultat que l’assimilation? Ce n’est pas parce que McGill offre quelques cours en français que l’UQAM devrait pouvoir faire de même en anglais. Ne devrait-on pas plutôt exiger que McGill donne tous ses cours en français? Ceux qui veulent apprendre une langue étrangère peuvent toujours suivre des cours de langue, non? Laissons-les libres de choisir leur langue seconde, dans un contexte où la langue principale, la langue commune est et doit demeurer le français.
De la même manière, ouverture sur le monde ne veut pas plus dire renier ce que nous sommes que liberté de conduire doit signifier le droit de passer sur les feux rouges. Tout est question de respect de soi et d’autrui. Le français est menacé et ce n’est pas en ouvrant la porte du poulailler au renard que la poule faire preuve d’une grande « ouverture sur le monde ».
En fait, en s’adressant aux étudiants étrangers en anglais et en lançant le message qu’il ne peut être possible d’atteindre les plus hauts échelons sociaux dans notre langue, on contribue à dévaloriser encore davantage le statut du français au Québec et à le réduire au rang de folklore un peu honteux indigne de former l’élite de demain. À l’opposé d’une époque où on réclamait notre émancipation culturelle et linguistique, on semble avoir abandonné non seulement nos rêves de survie en tant que peuple, mais également jusqu’à notre fierté d’avoir une université francophone de qualité en tant que porte-étendard de la culture québécoise en Amérique du Nord.
Au lieu d’imposer une langue étrangère dans les cours de gestion, si on y enseignant un peu d’histoire et de politique, afin de faire prendre conscience à ces jeunes qu’il y a d’autres valeurs dans la vie que la réussite personnelle se construisant sur les ruines des idéaux de leurs ancêtres?