Défendre le français au Québec – et donc la pluralité linguistique dans le monde – ressemble de plus en plus à un chemin de croix. À chaque jour ou presque, on lacère encore davantage notre langue. Il y a quelques semaines, c’était Stéphane Gendron qui se moquait de notre aménagement linguistique. La semaine dernière, on découvrait que les jeunes anglophones méprisent notre langue. Il y a quelques jours, on apprenait que Québec finance les cours d’anglais des immigrants. Aujourd’hui, on découvre que les séances d’accueil aux immigrants se feront désormais en anglais. Encore aujourd’hui, on apprend que l’anglais est largement sur-représenté dans les emplois du secteur public. Il ne manque que la crucifixion et on peut fermer les livres.
Chacune de ces attaques contre la langue nationale des Québécois est assez grave en soi, mais c’est le nombre et l’intensité de celles-ci qui a de quoi surprendre. On dirait qu’il n’y a plus rien pour nous sortir de notre torpeur. Un peu comme si, intérieurement, nous avions déjà capitulé. Un peu comme si nous avions décidé, après des années d’auto-dénigrement, de dévalorisation, de haine de nous-mêmes, que nous n’avions plus le droit d’aspirer à assurer notre futur collectif. Nous avons cessé de rêver.
Cette incapacité à concevoir un futur dont nous serions les maîtres nous a transformés en champions de la servitude. Face à une idée originale ou insolite, nous n’avons plus la moindre curiosité ; nous sommes sceptiques. Nous ne souhaitons plus « briller parmi les meilleurs », mais nous conformer à ce qui se fait ailleurs. Nous ne souhaitons plus avoir une éducation accessible parce que cela rejoint nos valeurs ; nous voulons nous adapter à la moyenne canadienne. Nous ne voulons plus nous donner les moyens d’exister ; nous voulons nous « adapter » à la réalité nord-américaine. Nous ne désirons plus avoir une société plus juste ; nous souhaitons suivre les recettes économiques états-uniennes ayant échouées. Nous n’aspirons plus à la vie ; nous désirons passer inaperçu. Nous sommes des prostitués longeant les murs.
Notre problème n’est pas seulement linguistique, mais onirique. Nous ne rêvons plus, ou bien nous rêvons de manière sectorisée. Nous pouvons imaginer quelques petites originalité éparses, que ce soit une éducation accessible, une langue française qui nous regroupe tous, une politique économique différente, mais peu de gens sont en mesure de rêver à grande échelle. Chacun vit enfermé dans son propre petit monde. Chacun fait ses propres petits combats. Pas question pour les étudiants de se battre pour la langue nationale. Pas question pour les francophiles de lutter contre l’enfoncement à droite de la société québécoise. Chacun vit pour soi.
Ces attaques contre la langue française sont donc d’autant plus faciles qu’aucun mouvement de masse ne peut s’y opposer. Nous regardons, l’air béat, notre langue et nos valeurs reculer et nous saluons de la main, capitaines sur le bateau de nos rêves, le naufrage de nos idéaux.
Nous contemplons notre chute en silence.
Prioriser
Au cœur de toutes les vicissitudes de notre quotidien, nous devrions pourtant reconnaître une nécessité : protéger l’avenir. Mettre les graines qui pourront un jour germer à l’abri et préparer la relève. Reconnaître que si de nombreux débats ont leur importance au Québec, un seul est incontournable : celui de notre langue. Car si notre langue disparaît, nous disparaissons. Le cœur, l’âme de notre identité, surtout depuis la Révolution tranquille et la chute de notre foi, c’est notre langue. Si nous la perdons, nous avons tout perdu.
Il nous faut donc prioriser, choisir nos luttes. On peut appuyer les étudiants, on peut lutter pour une société plus juste, on peut se battre pour l’environnement, on peut œuvrer à une foule d’enjeux locaux, nationaux ou mondiaux, mais la jonction de toutes ces causes doit être la langue française ; une éducation plus accessible ne nous servirait à rien si nous n’étions plus là ; une planète plus propre ne nous serait d’aucune utilité si nous n’existions plus. La langue doit être le combustible qui enflamme toutes les autres causes.
À la face de l’ethnocide du français en Amérique du Nord, et parce que nous constatons que l’anglomanie et le sur-financement des institutions des anglophones au Québec atteignent des sommets, il nous faut mettre le français au centre de toutes nos luttes et refuser le moindre compromis sur cette question.
Le peuples accommodants ne représentent qu’une astérisque dans un livre d’histoire.
Multiplions les luttes et les solidarités, mais exigeons le français, et uniquement le français, en toutes circonstances et pour toute occasion.
Accepter le contraire, c’est légitimer le dénigrement de ce que nous sommes et c’est porter nous-mêmes la croix sur laquelle on nous crucifie jour après jour dans tous les médias.